Tribune 2025 : Le secteur des énergies liquides - la passerelle indispensable entre les énergies fossiles et les énergies bas carbone & renouvelables pour accompagner la France dans sa décarbonation
Mai 2025
Par Olivier Gantois, président de l'Ufip Énergies et Mobilités
Les adhérents d'Ufip Énergies et Mobilités contribuent très largement à la satisfaction des besoins en énergies liquides liés aux secteurs des transports en France. Pleinement engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique, ils revendiquent une part active dans le développement et la mise en œuvre de solutions d'approvisionnement décarbonées en s’appuyant sur l’outil industriel et logistique existant. Ils soulignent aussi l'importance de maintenir à tout moment une offre de produits énergétiques liquides calée sur la demande, de manière à éviter l'envol des prix et le recours accru aux importations. Ils insistent enfin sur la nécessité de garantir la compétitivité de leur filière à l'échelle mondiale afin de pouvoir poursuivre l'adaptation de leurs outils industriels.
Les industriels des énergies liquides - représentés par Ufip Énergies et Mobilités - seraient-il guettés par la dissonance cognitive, ce phénomène qui désigne la tension ressentie par une personne lorsque ses idées, ses croyances ou ses valeurs entrent en contradiction les unes avec les autres ? Qu'ils s'efforcent de décarboner leurs activités et leurs offres, ce qu'ils font avec un engagement croissant, et ils sont sommés d'expliquer pourquoi ils renient leur passé de pétroliers. Qu'ils évoquent la forte demande dont l'énergie fossile fait encore l'objet partout dans le monde, et on les soupçonne de poursuivre leurs intérêts propres quitte à tourner le dos à la transition énergétique…
Pour dissiper la confusion, le mieux est sans doute d'arrimer la réflexion à des chiffres solidement établis. Aujourd'hui, en France, afin de satisfaire l’ensemble des besoins tous modes de transports confondus, les industries pétrolières et multi-énergies distribuent pour 89 % des carburants d'origine fossile et pour 8 % des liquides décarbonés. Premier constat : les énergies fossiles restent actuellement ultra majoritaires pour répondre aux différents usages de la mobilité dans notre pays. Et il y a de bonnes raisons à cela puisqu'elles sont à la fois faciles à stocker, à transporter et à utiliser du fait de leur densité énergétique élevée.
Bien sûr, l'atteinte de la neutralité carbone impliquera de renoncer progressivement à ces commodités. À l'horizon 2050, l'objectif national est que plus une seule goutte de carburant liquide utilisé pour les déplacements routiers, aériens ou maritimes n'ait d'incidence négative sur le climat. Mais dans l'intervalle, c'est sur notre industrie que reposera, pour une grande majorité, la responsabilité de fournir en énergie liquide les citoyens, les entreprises et les administrations qui font vivre le pays.
D'un monde énergétique à l'autre, nos solutions vont servir de passerelles
Les pouvoirs publics ont clairement exprimé leurs attentes vis-à-vis de nos adhérents pour garantir l'approvisionnement des consommateurs en carburant et en combustible durant la période de transition. J'y vois une marque de confiance. C'est la reconnaissance de la robustesse, de la résilience et de la flexibilité de la chaîne logistique des énergies liquides, dont on sait qu'elle a pu, dans un passé récent, continuer à remplir sa mission dans des situations délicates d'embargos ou de blocage d’installations.
Son deuxième avantage est d'être compatible, dès aujourd'hui et sans nécessiter d'investissements majeurs, avec la production et la distribution d’une part croissante de carburants liquides bas carbone. Ces derniers ont le vent en poupe¹. D'origine végétale, sylvicole, animale, ou bien encore issus de déchets, ils possèdent des caractéristiques permettant d'alimenter les flottes de véhicules en circulation. À ce titre, ils se classent parmi les solutions transitoires à même de faire baisser la consommation d’énergies fossiles, avec à la clé une baisse des émissions de gaz à effet de serre. Dernière précision, mais non des moindres, ils peuvent être utilisés purs ou en mélange avec des produits fossiles. Ce qui est tout sauf négligeable dans l'hypothèse où la transformation du secteur des transports, et particulièrement du parc de véhicules, ne se ferait pas au rythme escompté. Imaginons que beaucoup de voitures à moteur thermique soient toujours en circulation en 2050, voire au-delà. Elles rouleront avec des carburants liquides en partie bas carbone et en partie issus de pétrole, surtout s'il devient possible de neutraliser les émissions de gaz à effet de serre correspondantes grâce à des solutions de type captage de CO2 ou puits naturels de pétrole.
Quelle que soit la trajectoire de décarbonation de la demande en énergies – en ligne avec l'ambition des pouvoirs publics ou bien décalée dans le temps –, l’ensemble de la chaîne logistique des énergies liquides sera donc essentiel pour ajuster en continu l'offre à la demande. Il constituera une passerelle indispensable vers le monde énergétique de demain.
Pourquoi il importe de faire baisser la demande d’énergies fossiles…et l’offre s’ajustera
L'exercice de projection auquel je viens de me livrer appelle une prise de position claire sur un point qui agite régulièrement la communauté des commentateurs du secteur de l'énergie. Je veux parler de la demande d'une réduction unilatérale de l'offre de produits pétroliers, sans attendre que la demande ait reculé. Voilà qui, selon moi, ne correspondrait à aucune logique du point de vue de l'intérêt général. D'abord, une telle décision compromettrait notre capacité de satisfaire la demande, conduisant immanquablement à une augmentation des prix. À l'échelle mondiale, il a été calculé que, si les 104 millions de barils consommés chaque jour se voyaient amputés de seulement quelques millions de barils, cela pourrait suffire à propulser le marché au-delà de ses plafonds historiques. Comment pourrions-nous alors faire vivre le principe élémentaire selon lequel l'énergie doit rester un bien abordable ?
Il existe une autre objection à la diminution prématurée de l'offre. La fermeture ou la mise hors service de nos infrastructures de production, de transport et de stockage ferait peser un risque important sur la disponibilité des carburants sur la totalité du territoire national. Avec, en corollaire, dans le cas d’un arrêt prématuré de raffineries françaises, la menace d'une dépendance renforcée aux importations de produits finis pétroliers.
S'il est primordial de pérenniser nos sites français de production de carburants liquides fossiles ou décarbonés, c'est aussi parce cette pérennisation nous permet de prendre les décisions d'investissement nécessaires à la décarbonation de nos plateformes industrielles – par l'électrification des procédés, la récupération de la chaleur fatale, le recours accru aux énergies renouvelables ou encore le captage de CO2 issu d'émissions résiduelles incompressibles.
Une des particularités du marché sur lequel opèrent les adhérents d’Ufip Énergies et Mobilités est l'absence de mécanisme ou d'instance de régulation. Nous avons affaire à des acteurs privés pour qui la recherche de la rentabilité économique est un facteur déterminant pour agir. Lorsque les débouchés pour les énergies fossiles commenceront à se refermer, ils ajusteront spontanément leur offre – notamment en renonçant à lancer de nouveaux projets d'exploration-production. Le déclin naturel de la production des champs pétroliers, de l'ordre de 4 à 5 % chaque année dans le monde fera le reste, ouvrant la voie en grand pour les énergies renouvelables et bas carbone.
Réduire la consommation d'énergie fossile au rythme annoncé demande un effort colossal
La Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) constituent le socle de la transition climatique et énergétique de la France. La troisième édition de ces documents de planification, dont le contenu est encore provisoire, fixe un objectif en termes de réduction de la part de l'énergie finale fossile consommée dans le mix énergétique national : de 60 % en 2022 à 42 % en 2030. Soutenir un tel rythme nécessite de faire chuter la consommation de 6 % chaque année là où, actuellement, la baisse est de l’ordre de 1 %. L'effort à accomplir est colossal, surtout dans le domaine des mobilités qui représente à lui seul 70 % des produits pétroliers consommés.
De quels leviers dispose-t-on pour faire baisser drastiquement la demande de carburants fossiles ? Favoriser l'essor des motorisations électriques est une des réponses. Les pouvoirs publics entendent porter à hauteur de 66 % la part des voitures électriques dans le total des ventes en 2030 et à 15 % leur intégration dans le parc roulant à la même échéance. Parallèlement, le règlement européen du 19 avril 2023 interdit la vente de véhicules à moteur thermique neufs à partir de 2035. Ufip Énergies et Mobilités et ses adhérents sont partie prenante de ce changement à travers le déploiement, initié depuis plusieurs années, de bornes de recharge pour véhicules électriques. Il faut cependant souligner que les constructeurs automobiles, appuyés sur leurs réseaux de distribution, sont les mieux placés pour orienter le choix des acheteurs de véhicules. Seconde remarque : si les consommateurs se sentent de plus en plus concernés par les enjeux environnementaux, ils demeurent avant tout sensibles au signal prix, d'où l'importance de maintenir ou de renforcer les bonus qui réduisent les surcoûts d'acquisition des véhicules électriques.
Neutralité sectorielle et technologique : deux conditions pour décarboner à grande échelle
Dans un certain nombre de cas – transport aérien et maritime, poids lourds, engins agricoles et de chantier… –, passer à la mobilité électrique relève d'une équation technico-économique complexe voire, pour le moment, insoluble. Les carburants liquides bas carbone, dont les bénéfices ont été décrits plus haut, auront là encore un rôle décisif à jouer.
Acteurs de la transition, nous le sommes également via les différents canaux de décarbonation des installations industrielles – à la fois les nôtres et celles des autres secteurs d'activité – que nous utilisons. Je pense en particulier à la production d'hydrogène renouvelable à des fins de substitution du gaz naturel utilisé comme matière première, ou encore à la production d’hydrogène par vaporéformage de gaz naturel fossile associée au captage et stockage ou à la réutilisation de dioxyde de carbone (CCUS).
Toutes ces solutions vont contribuer à la transformation et à la compétitivité de l'industrie française. Mais elles supposent des investissements conséquents dont le déclenchement dépend d'un certain nombre de prérequis. En plus d'être exposés à la compétition internationale, les acteurs des énergies liquides doivent, en effet, faire face à un contexte normatif, réglementaire et fiscal exigeant. En conséquence, nous avons besoin, au même titre que les autres secteurs industriels, d'un soutien en matière de fiscalité énergétique et d'éligibilité aux programmes de décarbonation lancés à l'échelle européenne. À cette neutralité sectorielle s'ajoute un impératif de neutralité technologique. Autrement dit, c'est aux industriels que doit revenir le choix des solutions techniques afin d'atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2 au meilleur coût. Au risque de me répéter, je conclurai cette tribune en rappelant ce qui peut être vu comme la signature de notre approche dans la manière d'engager les projets : si les conditions de rentabilité sont établies, les investissements suivront !
¹ D'après une étude réalisée 2022 par IHS Markit, les besoins en carburants liquides bas carbone vont doubler d'ici à 2035 en France.