Énergies et transitions
ÉNERGIES ET TRANSITIONS

Tribune 2023 : L’industrie pétrolière est en pleine transformation

Janvier 2023

Par Olivier Gantois, président d’Ufip Énergies et Mobilités

Atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 – ou zéro émissions nettes de gaz à effet de serre – implique une transformation radicale du mix énergétique. Face à ce défi, les adhérents d'Ufip Énergies et Mobilités, qui représente historiquement l'industrie pétrolière en France, sont en marche. Ils s'efforcent de décarboner leurs activités et leurs produits à travers cinq types de solutions : l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables, les carburants liquides bas carbone, le captage-stockage de CO2 et l'hydrogène bas carbone. Dans cette démarche globale, ils ont identifié des conditions clé de succès ainsi que d'éventuels freins à lever. 

Le pétrole, une énergie du passé ? L'idée fera figure d'évidence dans un avenir plus ou moins proche. Pour l'heure, elle ne résiste pas à l'examen des faits. En 2021, la France a consommé 42 % de ses besoins en énergie sous forme de produits pétroliers. Dans le secteur de la mobilité, ces derniers ont même représenté 91 % de la consommation !  

En 2021, les énergies fossiles comptaient pour 82 % du mix énergétique mondial (37 % pour le pétrole). Certes, le scénario « Sustainable development » de l'Agence Internationale de l'Énergie (AIE) prévoit un recul significatif, à 56 % (23 % pour le pétrole) d'ici 2040. Mais la conférence mondiale des parties de l'Organisation des Nations Unies (COP 27), en novembre 2022, a montré que ce rythme de décroissance ne suffirait pas à mettre le monde sur la voie d'un réchauffement limité à +1,5 °C à l’horizon 2100. D'où l'appel à renforcer les plans de lutte contre le réchauffement climatique et à les mettre en œuvre au cours des huit prochaines années.

La Stratégie Française sur l'Énergie et le Climat (SFEC), définie dans une loi qui devra être adoptée en 2023, constituera la feuille de route actualisée de la France pour limiter le changement climatique et assurer l'adaptation de notre société à ses impacts. Dans les transports, il s'agira de faire en sorte que chaque litre de carburant liquide utilisé pour les déplacements routiers, aériens et maritimes soit sans incidence nette sur le climat en 2050. Le secteur pétrolier est donc concerné au premier chef. Et il n'a pas attendu pour initier sa propre transformation… 

Les raffineries de France en pleine reconversion

Compte-tenu de l'ampleur des enjeux, tous les leviers de la décarbonation doivent être mis en œuvre simultanément dans nos plateformes industrielles : la sobriété énergétique (c'est-à-dire la remise en cause d’un besoin en énergie), l'efficacité énergétique (qui consiste à réduire la quantité d'énergie consommée pour un service ou un usage donné), le développement des énergies renouvelables, la décarbonation des énergies liquides et l'économie circulaire.

Cette nécessaire diversité des champs d'action est aujourd'hui bien intégrée par les industries pétrolières et multi-énergies. Plusieurs d'entre elles ont engagé l'adaptation de leur outil de raffinage en plateformes industrielles bas carbone destinées à produire les carburants décarbonés de demain et à contribuer au développement des mobilités propres. Un exemple parmi d'autres : l’usine de La Mède est aujourd'hui la première bioraffinerie française, avec une capacité de production de 500 kilotonnes / an de carburant diesel renouvelable, une ferme solaire et une unité de production de carburants recyclés. Sur ce type de site, l'amélioration continue des procédés de raffinage se traduit également par des gains significatifs en matière d'efficacité énergétique.

Carburants bas carbone, captage-stockage de CO2 : des expertises « cœur »

Trois autres familles de solutions, chacune nourrie par une expertise et un savoir-faire éprouvés, sont aujourd'hui déployées par les adhérents d’Ufip Énergies et Mobilités afin d'accélérer les transitions.

La production et la distribution de carburants liquides bas carbone (CLBC) est l'une d'entre elles (voir encadré). Ces carburants sont appelés à jouer un rôle croissant pour alimenter les flottes de véhicules à moteur thermique actuellement en circulation – véhicules légers et utilitaires, poids lourds, avions, navires –, notamment là où la substitution par une motorisation électrique est complexe pour des raisons techniques ou économiques et prendra du temps pour être complètement terminée.  

Le captage-stockage des émissions de CO2 constitue un deuxième type de solutions. Il est naturellement porté par les acteurs pétroliers du fait de leur connaissance du sous-sol et de leur maîtrise des activités industrielles mises en œuvre. Deux grands projets ont vu le jour en 2022. Le premier, lancé sur le site ArcelorMittal de Dunkerque, s'inscrit dans la volonté de qualifier, valider et partager des procédés innovants de décarbonation des industries fortement émettrices de CO2 – comme ici la production d'acier. Il réunit autour d'ArcelorMittal, TotalEnergies et Axens (filiale d’IFP Energies Nouvelles) et bénéficie du soutien de l'Union Européenne via le programme de recherche et innovation Horizon 2020.     

L'année écoulée a également été marquée par la signature d'un accord commercial pour le transport et la séquestration du CO2 capté sur le site de Yara Sluiskil – une usine d'ammoniac et d'engrais située aux Pays-Bas. À partir de 2025, 800 000 tonnes de gaz par an seront ainsi comprimées, liquéfiées puis acheminées jusqu'en Mer du Nord norvégienne, où elles seront définitivement enfouies à environ 2 600 mètres sous les fonds marins. C'est une étape importante dans la montée en puissance de Northern Lights, un projet de chaîne de valeur transfrontalière dédiée au transport et au stockage de CO2 en Europe.

Produire de l'hydrogène à grande échelle, du nord au sud

Les industriels que représente Ufip Énergies et Mobilités s'appliquent également à décarboner l'hydrogène produit dans leurs unités de raffinage. Qu'il soit issu de l'électrolyse de l'eau, en mobilisant de l'électricité d'origine renouvelable ou nucléaire, ou bien produit à partir de gaz fossile avec captage des émissions de CO2 associées, l'hydrogène bas carbone est une matière première essentielle pour fabriquer les CLBC, et notamment les carburants de synthèse.

Dans ce domaine comme dans le captage-stockage de CO2, l'année 2022 a témoigné de la vitalité et de l'engagement de nos adhérents au service de projets structurants. Pour illustration, le Port de Marseille et la société d'ingénierie H2V ont annoncé le plus gros investissement dans l'histoire de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer. En perspective : la construction d'une installation de production d'hydrogène vert au format XXL, la plus importante projetée à ce jour dans le monde avec une capacité de 600 mégawatts. Une fois opérationnelle, à l'horizon 2031, l'unité pourra produire 84 000 tonnes d’hydrogène chaque année, avec la promesse d'éviter le rejet dans l'atmosphère de 750 000 tonnes de CO2. À court terme, elle pourra notamment participer à la décarbonation des raffineries Esso et Petroineos.

Le Nord du pays ne fait pas exception à la tendance au développement d'écosystèmes centrés sur l'hydrogène bas carbone. Dans sa raffinerie de Grandpuits en cours de reconversion, TotalEnergies va accueillir un électrolyseur d'une capacité de 20 000 tonnes mis au point par Air Liquide. Cet équipement permettra de soutenir le dynamisme du bassin industriel environnant.

La question des ressources en biomasse et en électricité

Les exemples évoqués dans cet article montrent que nos adhérents sont résolument tournés vers la décarbonation de leurs processus industriels et de leurs produits. Et cela dans le cadre d'une ambition plus vaste, qui est de devenir l'industrie des énergies et des mobilités bas carbone. Une telle ambition implique une vision claire des freins éventuels et des conditions de succès à remplir.

Cette préoccupation nous a incité à vouloir caractériser les ressources en biomasse susceptibles d'être employées pour fabriquer des CLBC en Europe sans nuire à la biodiversité. D'après une étude produite par l'Imperial College et publiée en septembre 2021, l'allocation de matières premières durables permettrait de produire de 46 à 97 millions de tonnes équivalent pétrole de biocarburants avancés à partir de biomasse (agricole, sylvicole, animale) ou de déchets en 2030, et de 71 à 175 millions de tonnes équivalent pétrole en 2050. Un potentiel en phase avec les besoins futurs de décarbonation des carburants liquides pour contribuer à l'atteinte des objectifs de la feuille de route européenne « Fit for 55 » (réduction d'au moins 55 % des émissions nettes de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990) et de la future SFEC française

L'électricité bas carbone est une autre matière première dont la disponibilité est à surveiller. En effet, la transition écologique va impliquer le transfert d'une grande partie de la demande des énergies fossiles vers l'électricité, qui fera donc l'objet de besoins croissants. Ces derniers doivent être correctement évalués dans le cadre de la préparation de la SFEC et de l’évaluation prospective de la demande d’électricité en France. À travers les unités de production d’électricité mises en service ou programmées, les adhérents d’Ufip Énergies et Mobilités apportent une réponse à la problématique de l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité bas carbone.    

Neutralité technologique, compétitivité industrielle et prix du carbone

Parmi les facteurs clés de succès que nous avons identifiés figure la « neutralité technologique ». Dans une période où plusieurs solutions de réduction des émissions de CO2 coexistent, ce principe permettra de toutes les mettre en oeuvre et de créer des modèles économiques appropriés pour que chacune puisse être déployée et démontrer son efficacité. Gaz décarboné, CLBC, électricité ou hydrogène bas carbone… Ces différentes sources ou vecteurs d’énergie ont un rôle à jouer dans l’atteinte de nos objectifs climatiques et ne doivent pas être opposés les uns aux autres.    

Pourvoyeuse d’environ 200 000 emplois directs et indirects, notre industrie a besoin d’une compétitivité préservée dans la concurrence mondiale de manière à pouvoir engager la transformation de ses plateformes industrielles et réduire leur exposition à l’importation de produits énergétiques plus carbonés. Le système d’échange de quotas d’émissions industrielles de l’Union européenne (EU-ETS), qui devra aboutir à un prix du CO2 en hausse et à des volumes de quotas gratuits en baisse, ne doit pas dégrader cette compétitivité. Le futur mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), quant à lui, aura un effet protecteur à condition qu’il soit correctement paramétré.  

Nous touchons là à une troisième condition de succès, qui tient au prix du carbone. En forçant un peu le trait, on pourrait dire que l’humanité s’apprête pour la première fois de son histoire à renoncer à un produit qui a presque toutes les qualités : le pétrole. Rendre ce renoncement effectif suppose d'introduire une tarification et une fiscalité tenant compte du contenu carbone respectif de chaque forme d’énergie. L'éventail des dispositifs envisageables va du soutien aux investissements décarbonés aux aides attribuées aux consommateurs en passant par la défiscalisation des CLBC.  

Je conclurai cette tribune en mettant en avant l’importance du collectif. Ufip Énergies et Mobilités se positionne en tant que passerelle entre les énergies fossiles d’aujourd’hui et les énergies bas carbone de demain. Nous n'accomplirons cette mission qu'en construisant avec nos parties prenantes – acteurs économiques, académiques, start-ups, pouvoirs publics, clients – un nouveau modèle de coopération répondant à la diversité des impératifs économiques et sociaux, et des compétences. La transformation bien menée est à ce prix !



Les Carburants Liquides Bas Carbone (CLBC) ont un effet tangible

de réduction des émissions du transport

Au sein des CLBC, on trouve trois grandes familles :

> Les biocarburants de première génération sont obtenus à partir de matières premières en compétition suspectée mais non avérée avec l'alimentation (betteraves sucrières, blé, maïs, colza…) ;

> dans la composition des biocarburants de première génération « bis » entrent des huiles brutes qui servent à fabriquer un diesel dont les caractéristiques sont comparables au diesel d'origine pétrolière ;

> les biocarburants avancés sont obtenus à partir de co-produits agricoles ou sylvicoles inutilisables pour l'alimentation ;

> les carburants de synthèse, ou e-fuels, sont produits à partir d'un mélange d'hydrogène bas carbone et de CO2.

Par rapport aux carburants fossiles, les CLBC ont un impact de réduction des émissions de CO2 compris entre - 65 % et - 95 % sur l'ensemble du cycle de vie du transport routier (en incluant les paramètres liés à la fois aux carburants et aux véhicules). En 2021, environ 5,1 millions de mètres cubes de CLBC ont été incorporés aux carburants en France, ce qui représente une baisse de plus de 6 % des émissions du transport routier*.

*Données issues du bilan annuel TIRUERT DGDDI



Données clés

42 %

C'est la part du pétrole dans la consommation finale d'énergie en France en 2021. Par comparaison, l'électricité produite par le parc nucléaire compte pour 18 %.

98 %

C’est la part des carburants liquides dans l’ensemble des énergies utilisées en France, tous modes de transport confondus (route, rail, aérien, fluvial).

2035

C'est la date d'entrée en vigueur de l'interdiction de vente des véhicules thermiques neufs dans l'Union européenne.

1 %, 5 %, 50 %

Ce sont les taux d'incorporation règlementaire des biokérozènes dans l'aviation civile commerciale, en France, respectivement en 2022, 2030 et 2050.



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